Une poétique d'historiographe: subjectivité, vérité et «rhétorique seconde » dans l'oeuvre de Jehan Marot

Auteurs-es

  • Gérard Defaux Johns Hopkins University

Résumé

En dépit de l'affirmation aussi souvent citée que mal comprise du fils dans son épître XXIV de La Suite «Et ne fallait, Sire, tant seulement 1 Qu'effacer Jan, et
escrire Clement1 » -, affirmation qui a pour but de faire du nom propre un nom commun, de fondre en quelque sorte deux identités en une seule, les différences entre l'oeuvre de Jean et celle de Clément sont considérables. Elles sautent aux yeux et ne sauraient se réduire à une affaire de prénoms. [...]

Références

Clément Marot, OEuvres poétiques complètes. Tome!: L'Adolescence clémentine.

La Suite de L'Adolescence Clémentine, éd. G. Defaux, Paris :

Bordas/Dunod, «Classiques Garnier», p. 328, v. 21-22. Désormais

cité OPCI (ou OPCII pour le Tome II).

Clément Marot, OPCI, Épître XVII de La Suite, «Au Reverendissime

Cardinal de Lorraine>>, p. 318, v. 1-10: «L'Homme qui est en plusieurs

sortes bas, 1 Bas de stature, et de joye, & d'esbas, 1 Bas de

sçavoir, en bas degré nourry, 1 Et bas de biens, dont il est bien

marry, / Prince tresnoble, à vostre advis, comment / Vous pourroit

il saluer haultement? 1 Fort luy seroit, car petite Clochette 1 A beaubranler, avant que ung hault son nejecte: 1 Puis qu'il n'a donc que

humble, & basse value, 1 Par ung bas stile humblement vous

salue.»; voir aussi l'Epître II de L'Adolescence, p. 76, vv. 163--64 («Le

bon Vieillart [ ... ] 1 A droit nommé repaisseur des chetift»); et la

Ballade VI, p. 116, v. 27 (<

Clément Marot, OPC/l, Épître X, p. 97, vv. 25-26: '' ... tellement que

ta grâce 1 Semble estre encline à ma petite race.''·

Concernant la pauvreté de Jean Marot, voir par exemple les deux

spirituelles Ballades qu'en 1514, après la mort d'Anne de Bretagne,

il adresse d'abord au Trésorier Robertet, puis au duc de Valois, le

futur François p·r: ''Du mal que j'ay argent est medecine» et «Mince

de biens, et povre de santé». Elles correspondent à l'éclaircie

autobiographique dont nous parlions plus haut. Pour le texte de la

première ballade, voir infra; pour celui de la seconde, voir Les deux

recueils jehan Marot, éd. Gérard Defaux et Thierry Mantovani,

Genève: Droz/TLF, p. 196-98.

JAN MAROT// DE CAEN SVR LE'S DEVX // heureux Voyages de Genes

& Venise, victo- 11 rieusement mys a fin, Par le treschrestien Roy // Loys

Douziesme de ce nom. Pere du Peuple [. .. ]. Achevé d'imprimer du

janvier 1532 (ancien style) par Geofroy Tory pour Pierre Roffet,

«A Lenseigne du Faulcheur », p. lill. Le Prologue que, d'après le

ms. BNF fr. 5091, Trisolini reproduit dans son édition du Voyage de

Gênes, p. 83-84, est différent - très différent par son contenu aussi

bien que par son style - de celui que contient l'édition. Par

exemple, nulle allusion n'y est faite à « Pardurable renommée>> et

à ce « hault don d'immortalité,, qu'elle accorde aux «memorables

Actes,,. Fidèle à ses habitudes, Clément est donc intervenu.

Voir sur ce thème les récentes et très riches analyses de Jan Miernowski,

Signes dissimilaires. La quête des noms divins dans la poésie

française de la Renaissance, Genève : Droz, 1997 - notamment ses

deux premiers chapitres, respectivement consacrés à Marguerite de

Navarre et à Clément Marot.

La Vraye disant advocate des Dames, «Prologue de l'Acteur». Voir Les

deux Recueils, éd. citée, p. 93-95.

Prologue aux «Prieres "• Les deux Recueils, éd. citée, p. 120-21.

Voir son Voyage de ~nise, éd. Trisolini, p. 143, vv. 3610-14 (le poète

s'adresse au roi): « ... Ce neantrnoins employer je consens 1 Cueur,

corps, vouloir, avec mes cinq sens, 1 Car tant humain et benin je te

sens 1 Que auras esgard / Que clerc ne suis, mais seulement ay l'art

De rimoyer, et que mon vouloir art 1 De hault louer le tien nom,

que Dieu gard ».

O. Jean Marot pratique peu cet exercice. Il joue beaucoup moins avec

les mots qu'avec les strophes et les formes. Voir cependant les«Equivoques» de La vraye disant advocate, Les deux recueils, éd. citée,

p. 97-100: «Faulx detracteurs à langues de lesars, 1 Qui de mal dire

trop bien sçavez les ars ... », etc.

Voir sur ce thème l'étude fondatrice de François Cornilliat, « Or ne

mens». Couleurs de l'éloge et du blâme chez les Grands Rhétoriqueurs,

Paris: Champion, 1994.

Voir par exemple les analyses de G. Trisolini, Essai sur les écrits

politiques de Jean Marot, Paris: Librairie Nizet, 1975.

Voir l'exemplaire lucidité dont il témoigne à ce sujet dans le

Prologue manuscrit à son Voyage de Gênes, éd. Trisolini, p. 84, L 24-

: « •• J'a y prins conclusion de de sc rire non en tel stille qu'il

appartient, mais seulement en lourde et par trop basse forme, ainsi que la

grosseur de mon petit entendement l'a peu comprendre>•, etc. De toute

évidence, Marot sait ce qu'il fait.

On sait la distinction que, dans sa Poétique, chap. 9, Aristote établit

entre d'une part le possible, ce qui pourrait arriver et, de l'autre, ce

qui est réellement arrivé : «La différence entre le chroniqueur et le

poète ne vient pas de ce que l'un s'exprime en vers et l'autre en

prose [. .. ] mais du fait que l'un dit ce qui a eu lieu, ta; genomevna,

l'autre ce qui pourrait avoir lieu, oÎa a]n gevnoito. »Voir à ce sujet

les analyses de Gisèle Mathieu-Castellani, La conversation conteuse. Les

Nouvelles de Marguerite de Navarre, Paris: PUF, « écrivains», 1992,

p. 7-23.

Voir sur ce point Paul Zumthor, La Lettre et la voix de la <

médiévale, Paris : Seuil, 1987.

Voir à ce sujet François Rigolot, Le Texte de la Renaissance, des rhétoriqueurs

à Montaigne, Genève : Droz, 1982, p. 38-40 ( « dimension

picturale ,, des textes, la rhétorique et ses «couleurs» comme

moyen de «figurer l'écriture,,); et Gérard Defaux, Marot, Rabelais,

Montaigne: l'écriture comme présence, Paris: Champion, 1987 -

notamment l'Introduction, p. 11-54.

Cf. Rabelais, Le Quart Livre, éd. du «Livre de Poche Classique»,

p. 539, lignes 64-66 (épisode des «parolles gelées»).

Les Apophthegmes. Cest a dire promptz subtilz & sententieux dictz de

plusieurs Roys: cheft d'armes; philosophes & autres grans personnaiges

tant Greez que Latins. Translatez de latin en François par 1 'esleu

Macault notaire, secretaire & valet de chambre du Roy, Paris, 1543,

fol. 5V0-6v'). Si la comparaison entre la peinture et l'écriture remonte

à Platon, elle doit surtout sa fortune à Pline. Voir le Livre XXXV de

son Histoire naturelle, « De Pictura et col oribus ,, . C'est de ce livre que

vient l'allusion à Aristide de Thèbes.

Rien, à cet égard, de plus révélateur que les treize magnifiques

miniatures de Jean Bourdichon qui ornent le manuscrit BNF fr.5091, manuscrit du Voyage de Gênes offert par Jehan Marot à Anne

de Bretagne. Comme l'a écrit A. Joly dans son Étude sur la vie et les

oeuvres de Jean Marot, Caen, 1865, p. 434, ces miniatures sont «de

véritables tableaux retraçant les principales scènes du poème et en

formant une illustration continue» - en quelque sorte l'illus·

tration d'une illustration, la traduction picturale de ce «tableau»

parlant qu'est déjà le texte lui-même.

Guillaume Budé, De Linstitution du Prince. Voir aussi Symphorien

Champier, Les gestes ensemble la vie du preulx Chevalier Bayard[ ... ], éd.

Denis Crouzet, Paris: Imprimerie Nationale Éditions, 1992, « Aultre

epistre à Monsieur de Sainct Gelays aulmosnier de monseigneur le

Daulphin », p. 115: «Le tesmoignaige du temps passé, la lumiere de

verité, le messagier des antiquitez, la vie de memoyre, que main·

tenant on appelle histoyre, les anciens ont preferé devant tous

aultres genres d'escripture, et ont dit estre utile et tresnecessaire

aulx hommes, pource qu'elle nous demonstre comme debvons

vivre, ce que debvons ensuyvre et pareillement fouyr, et comme noz

operations par bons moyens se doibvent diriger en vertu: tout ce,

nous monstrent histoires apertement et par exemples», etc.

Pour le texte de ce Prologue, voir supra. De même, le passage du

Prologue des Voyages dans lequel «Jan Marot» remercie la reine

Anne d'avoir «desjà», dans sa «grace liberalle & suppliante à toute

imbecillité & lourde rudesse», «daigné recepvoir comme chose de

value, voyre & [v]oyr et commander estre posé dedans le Receptacle

ou Gazophile de [ses] aultres livres,, une «oeuvre indigne», fruit

des «quotidiens labeurs de son inscience '' (Le Voyage de Gênes),

trouve son origine dans le Prologue des Prieres: «j'ay experimenté

vostre tres humaine benignité estre de profundité si immense que

les petitz labeurs partant de ma rude capacité ont trouvé grace

devant voz yeulx, ont esté honnorez de la conversation de voz

aultres livres, ont esté plus par heur que par merite lenz en vostre

tresnoble presence », etc. Il ne fait donc aucun doute que Clément

Marot, quand il a rédigé ce texte, avait celui des Prieres sous les yeux.

Voir OPCI, p. 207-23: «Deploration sur le trespas de messire

Florimond Robertet ,, .

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Publié-e

2017-07-20