Les Noelz nouveau/x de Malingre (Vingle, vers 1533) : étude d'un transfert de traditions

Auteurs-es

  • Jean Duchamp Université Lyon II

Résumé

Au sein des parutions du «groupe de Neuchâtel» le recueil des Noelz nouveau/x tient une place singulière. Il prend appui sur la tradition vivante et populaire du noël; mais, derrière ce que Gabriel Berthoud qualifie «d'innocence totale »(1) , se cache la volonté d'orienter le lecteur (ou le simple auditeur}, presque à son insu, vers une vision théologique nouvelle. Ainsi, la tradition de spiritualité «populaire et domestique» inhérente au genre du noël est-elle cohérente avec les pratiques individuelles et familiales proposées par les Réformateurs. [...]

Références

G. Berthoud, «Livres pseudo-catholiques de contenu protestant

», dans Aspects de la propagande religieuse, Genève, Droz, 1957,

p.143-144.

Le titre des chansons nouvelles demonstrant plusieurs erreurs et foulsetés

desquelles le pauvre monde est rempli par les ministres de Satan semble

condamner la doctrine réformée (voir Gabrielle Berthoud, idem,

p.144).

Exemples catholiques: Nicolas Denisot: Cantique du premier advenement

de ]ésus-Christ et Barthélemy Aneau et Mellin de Saint

Gelais : Genethliac noël (en référence à Genève).

Voir le catalogue des recueils de noëls d'Adrienne Fried Block, 1he

Barly French Parody Noe/, Ann Arbor (Michigan) U.M.I. Research

Press, 1983, I, p.115-118.

«Chantons noeljoyeusement/Par la parolle de Jésus/Car toute creature

ment/Fors que luy seul qui est la sus».

N 15 : Modérateur qui tout régente et N 24 : Sur les fleuves de Babel/a

confuse (Psaume 136).

Annonciation (N 3), narration du mystère de l'Incarnation (N 1, 4,

, 6, 7, 8, 10, 13,20 ).

Par exemple, le thème du salut par la grâce divine (N 2 : «,Ton

aureille soit entendante/Pour exaucer ma paovre voi:xlfu la congnois

bien et la voys/Mon cueur est ta grace attendante»). Ou celui de la

rigueur morale : «Amendez vous, bergiers, seigneurs, prelatz. »

Timbre et modèle littéraire : Antoine Brumel à 4 voix : BrusBR

, FlorC 2442.

«Tous les regretz quonques furent au monde/Venez a moy quelque

part que je soie/Prenez mon cueur en sa douleur parfonde/Et le

fendes que madame le voye ».

C'est aussi le sujet de la simonie qui est abordé à la fin du noël de

louange Chantons noe/ tous en grandjoye (N 10) sur L'aultrejour jouer

m'al/oye de Jean Conseil (Attaingnant 1529

Le schéma rimique et métrique de ce Pater est exceptionnellement

calqué sur deux timbres : Prince veuillez nous pardonner et Hélas que

vous a fait mon cueur. Si le premier semble aujourd'hui introuvable,

il nous reste quelques traces du second : Anonyme à 1 voix : J eh an

Chardavoine (C. Micard 1576) :«Las que vous a fait mon cueurl

Madame que vous le hayez tant ?Nous m'y tenez telle rigueur;/

Certes je n'en suis pas bien contant./Mon cueur va tousjours sous

pirant!Du regret de s'amye./Si vostre secours je n'attens,/Mon

esperance fine helas ( ... ) ».Voir A. Black, op. cit., I, p. 645.

Claudin de Sermisy, Attaingnant 1531 (Dieu gart de mon cueur la

regente). Édition moderne : Claudin de Sermisy, Opera Omnia, G.

Allaire &I. Cazeaux (éd.), Rome, American Institute ofMusicology,

(CMM 67), III, p. 64.

La présence d'un psaume est mentionnée dans le titre (N19, 22, 23,

ou dans une note marginale.

[Jean Courtois], Attaingnant, 15294

Par exemple Moderne l'édite dans La fleur des noelz nouvellement imprimés,

fol. A2v.

Sa forme métrique en strophes de quatre octosyllabes rend cependant

possible une interprétation sur ce timbre.

Selon Michel Huglo, ces tons, déjà notés dans les tonaires du JX• siècle

(commemoratio brevis de tonis) sont les mêmes que ceux qu'on utilise

aux XV" et XVI• siècles. Bien qu'Aurélien de Réomé le qualifie de

«néophyte» vers 850, il est possible que le Tonus peregrinus remonte

à la tradition hébraïque. Voir Michel Huglo, Les Tonaires, Paris,

Heugel, Société française de musicologie, 1971. Plusieurs pièces polyphoniques

intègrent cette intonation comme un thème populaire,

depuis Adam de la Halle et son jeu de Robin et Marion à Eustache

Du Caurroy qui le place au ténor dans sa version du Psaume 113. Le

Magnificat traduit par Luther demeurera transmis sur cette intonation

(avec des modifications) dans la tradition luthérienne, comme

en témoigne la cantate no10 de J. S. Bach: Meine Seel' erhebt den

Herren, BWV 10.

J. Marix (éd.), Les Musiciens de la cour de Bourgogne, Paris, 1937,

p.196.

Voir «Les timbres musicaux des chansons de Pierre de Vingle: entre

écriture et oralité», à paraître dans les Actes du colloque : Cinq siècles

d'histoire religieuse, Neuchâtel, mars 2004.

«Changeons propos, c'est trop chanté d'amours/Ce sont clamours,

chantons de la serpette./Tous vignerons ont à elle recours/C'est le

secours pour tailler la vignette,/0 serpillette, o la serpillonnette,/La

vignolette est par toy mise sus/Dont les bons vins sont tous les ans

yssus» (Clément Marot, Chansons XXXII). Eustorg de Beaulieu utilise

aussi cette chanson dans sa Chrestienne resjouyssance (Genève,

.

Ce timbre a déjà été utilisé par Malingre pour présenter les Articles

de la foi dans S'ensuyvent (na 2).

Auxquels s'ajoute sans doute une partie des chansons non retrouvées

à ce jour : N 2 (jouvenette si vous m'aymez), N 6 (Si de bon cueur vous

ayme), N 8 (0 paoure tresorier), N 11 (Prince vueillez nous pardonne),

N 21 (Nous n'irons plus planter 1 'ortie), N 23 (Vivre ne puis pour le mal

que je sens).

Anonyme à 1 v.: Paris BNF 12744, Paris BNN 9346, Brugier à

v. : Rhau 15457, Anonyme 3 v., Cop. 1848, SGallS 462 (2 versions),

Lon BLH 5242, Richafort à 3 v.: Le Roy & Ballard 157815,

Anonyme à 4 v. : Paris BNF 1597, CorBC 95-6, Petrucci 15043,

Paris BNN 1817, Certon à 6 v.: Du Chemin 1570 (C 1718).

On pourra comparer avec Les Grantz noelz de Sergent (voir A. Block,

he Barly French Parody Noe!, p. 82).

Au début du XVIe siècle, le goût de chanter en s'accompagnant d'un

instrument se développe. Selon Castiglione, c'est le mode préféré du

courtisan (Illibro del Cortegiano, livre II, chapitre XIII).

Déjà dans les Chansons demonstrant (1542) de Malingre (Higman C

, on trouve Prestres o prestres il fout vous marier sur Celi enarrant

gloriam dei.

Patricia Ranum, «Le chant doit perfectionner la prononciation, et non

pas la corrompre. L'accentuation du chant grégorien d'après les traités

de Dom Jacques Le Clerc et dans le chant de Guillaume-Gabriel

Nievers », dans Plain-chant et Liturgie en France au XVII' siècle, Jean

Duron (dir.), Paris, Klincksieck, 1997.

Le genre poétique se subdivisant, selon lui, en trois parties : le vers

dactylique (dont le credo et un grand nombre d'hymnes), le vers trochaïque

(dont la prose Veni sancte spiritus et quantité d'hymnes) et le

vers iambique (surtout les hymnes).

Jean Le Munerat distingue deux catégories de chants : celui où la

mélodie gouverne le texte (antiennes, répons, introït, offertoires ... )

et celui où le texte gouverne la mélodie (leçons de matines, épîtres,

évangiles et autres prières). Là, la règle consiste à adapter la mélodie

en fonction de l'accentuation du texte et l'importance de ses syllabes.

Les psaumes et cantiques comme le Magnificat sont à mi-chemin.

Jean Le Munerat, De moderatione et concordia gramatice et Musice,

Paris, 1490, cité par Mère Thomas More,« Vinterprétation du plainchant

à la fin du Moyen Âge et au XVIe siècle», dans Proceedings if

the Royal Musical Association, 1965-1966, p. 121-134.

Voir par exemple la version du Conditor aime siderum de Juan

Bermudo, Ellibro llamado, Osuna, 1555.

Voir Adrienne Block, op. cit., I, p. 77,142.

Il s'agit de versions versifiées et musicalement arrangées des psaumes.

Avec celles de notre recueil, il s'agit des plus anciennes versions rimées

avant que Calvin n'entre en possession de celles de Marot et

Bèze. L'auteur en est sans doute un gentilhomme d'Utrecht : Willem

van Nievelt. L'éditeur en est Simon Cock d'Anvers qui jouit d'un

privilège depuis 1539 et réédita neuf fois l'ouvrage. La présentation

initiale était monodique.

Il les fait paraître comme les 4e, se, 6e et 7e livres de sa collection

(Musyck Boexkens) débutée en 1550. Dix de ces psaumes mentionnent

d'ailleurs Susato comme compositeur. Généralement, la mélodie

principale {le timbre) y est placée à la voix de Tenor. La déclamation

est syllabique à l'exception de quelques courtes vocalises pré-cadentielles.

Toutefois, quelques courtes imitations viennent agrémenter

le discours qui ne relève donc que partiellement du style familier ou

«voix de ville)),

Clemens non papa, Opera omnia, K. Ph. Bernet Kempers (éd.), Rome,

American Institute ofMusicology, CMM 4 (2), 1953, p.123.

Marc Honegger fait remarquer que plusieurs de ces textes, réédités

plus tard dans des livres de chansons spirituelles, sont présentés

amputés de leurs strophes noëliques. Marc Honegger, Les Chansons

spirituelles de Didier Lupi et les débuts de la musique protestante en

France au xvr siècle, Thèse de la Facultés des lettres et sciences humaines

de Paris, 1970, p. 7.

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Publié-e

2017-07-20